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Scribouillages et pensées frénétiques
20 janvier 2023

Archives Twitter 5 - Créatures fantastiques dans l'Art du Paléolithique

Cet article est issus d’un fil twitter que j’ai commencé lors du premier confinement en 2020.
Il était abondamment fourni en images piquées sur le web, en hyperlien, en abréviations et en fautes d’orthographe. J’ai rassemblé et reformuler les informations de ce fil pour qu’elles soient plus lisibles, à la fois dans leur structuration et dans la forme. C’est maintenant le quatrième fil que je transforme ainsi en article et franchement, je recommande pas l’exercice : extraire les informations d’un fil twitter est une véritable purge !! Ne me cherchez plus sur Twitter d’ailleurs : j’ai fermé mon compte.

CREATURES FANTASTIQUES

via GIPHY

DEFINIR LE SUJET : ON PARLE DE QUOI, DE QUAND, OU CA ?

Il va être question d'art au Paléolithique supérieur, c’est-à-dire celui fait par l'Homo sapiens, à la grosse louche entre -40 000 (le moment où il arrive en Europe) et -10 000 (fin de la période glaciaire, qui va entrainer des changements dans le paysage (les glaciers régressent, les océans montent, les forêts se densifient et remplacent les savanes froides), des changements dans la faune (le renne et le mammouth se replient dans le grand nord où le paysage ouvert et le climat plus froid leurs conviennent mieux (le renne a subsisté jusqu’aujourd’hui mais le mammouth a totalement disparu il y a 6000 ans en général et 4000 ans pour une petite population de l’ile de Wrangel, au nord de la Russie. Oui, 500 ans après la construction de la pyramide de Kheops) et des changements sociaux (apparition de l’arc, disparition de la sagaie et du propulseur, apparition d’un art abstrait, disparition de l’art figuratif, etc.)

Homo sapiens apparait en Afrique... Je sais que c’est grand l’Afrique et que ce n’est pas précis comme localisation. Le fait est qu’on retrouve des fossiles très anciens (-200 000 ans) dans différents coins d’Afrique et récemment Homo sapiens a encore pris un coup de vieux avec la découverte de fossiles datant d’il y a -300 000 ans au Maroc. La question de l’apparition de l’espèce humaine mérite un article et j’y reviendrai.

D’Afrique, Homo sapiens part en road-trip à la conquête du Moooôonde ! et on le retrouve au Proche-Orient, en Asie, en Indonésie, Australie, en Europe, dans l’Himalaya et en Amérique... Là où vivaient déjà d’autres espèces humaines qu’Homo sapiens fini par remplacer totalement.

On a longtemps cru que c’était en Europe qu’Homo sapiens s’était découvert une âme d’artiste. C’est faux également : la plus grotte ornée avec les peintures les plus anciennes se trouve à Bornéo (-52 000 ans) et en Australie plusieurs sites ornés sont également très anciens, contemporains des grottes ornées d’Europe. En Afrique cependant on n’a, à ce jour, pas retrouvé de peintures ou d’œuvres d’art aussi anciennes que celles trouvées ailleurs. Peut-être qu’elles existaient mais se sont effacés, peut-être qu’elles existent toujours mais qu’on ne les a pas encore trouvé.
L’art préhistorique Européen cependant est

  • a) assez abondant quand même
  • b) Celui que je connais le mieux
  • c) Malgré qu’il ait été réalisé sur une très longue période, il y présente une homogénéité dans ses thèmes, techniques et styles permettant de faire des articles généralistes le présentant comme un tout cohérent.

Donc je me focaliserai sur celui-là, en attendant la parution de grandes et belles monographie "l’Art Paléolithique des quatre continents"

 

L'ART PALEOLITHIQUE, C'EST QUOI ?

Je ne vais pas me lancer dans une définition de l’Art, ça va soit être assez long, pédant et casse-gueule ou alors vide, creux et composés de définitions se renvoyant l’une à l’autre. Pour l’anthropologue français Marcel Mauss, ‘un objet d'art, par définition, est l'objet reconnu comme tel par un groupe’ : ce qui est une définition parfaite car elle justifie à la fois la multiplicité de sens qu’on donne à ce terme et permet aussi d’introduire une évidence : aucun ‘artiste’ ou ‘amateur d’art’ préhistorique n’a jamais donné d’interview pour expliquer la finalité de ces œuvres. Ce que nous appelons ‘l’art préhistorique’, c’est la projection de notre propre conception de l’art (c’est fait volontairement, il y a de la technique, et puis c’est joli) sur des objets paléolithique.

On classe l’art en trois grandes catégories en fonction du type de support :

  • ART PARIÉTAL : art sur paroi – désignant l’art des grottes ou des abris sous roche

    Art parietal grotte chauvet

  • ART RUPESTRE : art sur rocher – on l’utilise pour désigner des œuvres en plein air (donc essentiellement des gravures, la peinture s’étant depuis longtemps lessivé)

Penascosa portugal vallée Coa

  • ART MOBILIER : statuettes de petite tailles, objets décorés, pouvant être déplacés et emportés.

    Propulseur Faon aux oiseaux Mas d'Azil

À la très grande surprise des premiers découvreurs de l’art paléolithique, celui-ci existe bel et bien et ne correspond absolument pas en une collection de gribouillis enfantins : non, l’Enfance de l’Art n’est pas un Art de l’Enfance, surprise, surprise !

Ses grands thèmes sont :

  • Figuratif : Humains, animaux
  • Mains négatives :
  • “Signes” : figures abstraites dessinées ou gravées pour lesquelles on ne trouve pas de correspondances avec un objet représenté ou alors de façon extrêmement stylisée, et pour lesquels on se confond en hypothèses variées

Art parietal grotte chauvet
Frise de chevaux de la grotte Chauvet

chasseur Laussel

"le chasseur" de Laussel 

GuaTewet mains negatives
Mains négative de Bornéo (les plus anciennes peintures paléolithiques, datant d'il y a 57 000 ans)

tectiformes El Castillo @P
Signes 'Tectiformes' et ponctuations de El Castillo 

 

Evidemment ce sont les représentations animales qui marquent le plus tant elles sont abouties, réalistes (et montrable aux petits n’enfants contrairement aux humains qui sont, au mieux, tout nus)

Bisons : 

bisons pairi daiza muebisons adossés lascaux - mue

Un bison d'Europe moderne au printemps qui perd sa toison d'hivers versus les bisons affrontés de Lascaux, la plaque rouge représente le pelage d'été sous la toison d'hiver qui mue

Bison se léchant irl Bison se lechant la Madeleine

Un bison se léchant versus le Bison se léchant de la Madeleine

 

Chevaux : 

cheval przewalski chevaux chinois lascaux

Cheval Bruniquel

Un cheval de Przewalski (espèce de cheval moderne qui est restée la + archaïque, vivant actuellement ds les plaines de Mongolie) vs un cheval de Lascaux vs le cheval bondissant de Bruniquel: 

Renne :

renne Relevé du baton de Lortet
Renne qui trotine versus Rennes du bâton de Lortet (relevé déroulé) ; deux rennes nagent au milieu de saumon

Et puis tout les autres : 

Bouquetins - c'est le printemps et toi tu dégage !

bouquetins combat

Bouquetins roc de serre © Photo RMN - Gerard Blot

propulseur bouquetins Enlene

...Dans les Alpes, ...Au Roc de Serre, ...Sur un propulseur taillé ds un bois de renne venant de la grotte d'Enlène en France 

Mammouth 

Mammouth Vogelherd
 Vogelherd - mammouth

Rouffignac mammouth & Bouquetin
Rouffignac - mammouth, chamois, bouquetin

Hibou chauvet
Chauvet - hibou dessiné au doigt

Chauvet rhinos
Chauvet - rhinocéros en nombre

Ours grotte Chauvet
Chauvet - Ours

Sauterelle Enlene
Relevé d'un os gravé d'Enlène - Sauterelle


"L'hyperréalisme" de ces représentations ne doit pas faire oublier une série de conventions de représentation :

  •  Les pattes à l’arrière-plan sont souvent détachées du corps pour figurer la profondeur
  • les lignes sont parfois dédoublées, multipliées pour figurer le mouvement selon une théorie démontrée en vidéo ici

 


SUPER OK, MAIS MOI JE SUIS VENU POUR LES CREATURES FANTASTIQUES !!!

J'y viens. Par créatures fantastiques, s’entendent toutes les représentations qui ne sont pas strictement réalistes et qui combinent des éléments anatomiques de différentes espèce. On ne sait ce qu’y voyaient les peintres de la Préhistoire. Peut-être que pour eux, ces figures étaient aussi réelles que le bison, le cheval, le chamois ou le mammouth représentés avec fidélité. Peut-être qu’ils s’agit d’esprits, de dieux, de démons d’un panthéon inconnus. Peut-être s’agit-il de chamanes en transe communiant avec le monde des esprits. On peut faire tas d’hypothèses, celles-ci, aussi plausibles soient-elles, restent des hypothèses. Aussi préfère-t-on parler de créatures fantastiques pour garder la dénomination la plus neutre possible.

Si je me trompe pas, les premières figures fantastiques qu'on a trouvé sont des gravures de la grotte d'Altamira. Les peintures de la grotte sont remarquées en 1879 (10 ans après la découverte de la grotte ...Faut dire elles sont au plafond et surtout qu'on n'imaginait même pas la possibilité de peintures préhistoriques. Et il faudra plus de 20 ans pour qu'on reconnaisse que ces peintures sont préhistoriques). Et en plus des fameux bisons, on remarque des figures semblant avoir les bras levés : les “orants” (ceux qui prient) ou bien thérianthropes (hommes-animaux) 

orants Altarmira

Les Orants d’Altamira - sont de petits humanoïdes TRÈS TRÈS CONTENTS (style "c'est un gourdin que t'as dans la poche... Ah non, t'as pas de poche"), de profil, présentant une silhouette globalement humaine et des têtes animales : parfois en forme de museau, parfois de tête d’oiseau. Leur présentation en file indienne est celle du relevé, pas forcément celle qu'ils ont en réalité.

lascaux puit homme oiseau

On retrouve aussi un homme-oiseau dans la grotte de Lascaux, au fond du puit. Un bison blessé, les intestins lui pendant du ventre, charge un humanoïde longiligne, aux jambes raides, au sexe en érection, aux mains écartées, au long cou, petite tête et bec, et à côté de l’homme-oiseau, un "signe" : une petite silhouette d'oiseau de profil au-dessus d'une longue ligne droite.
Beaucoup d’encre a coulé sur cette scène et sur sa lecture, à commencer par la scène elle-même : ces figures ont-elles été pensées comme fonctionnant ensemble, un homme debout face à un bison blessé qui charge ? Est-ce que le bison est réellement blessé (un bison éventré ne chargera pas dans un dernier baroud d’honneur) ou bien y a-t-il deux figures peines l’une sur l’autre, le bison et un signe ou une vulve ? Et est-ce que cet humain est réellement en érection ou bien les hommes du paléolithique avaient-il un pénis au repos assez visibles, comme parait-il les San (Bochiman) du Kalahari ? 

A lire et écouter : France Culture - Carbone 14 - Le mystère de la scène du Puit 17 décembre 2022

Si parfois on peut se demander s’il s’agit volontairement d’une tête animale ou d’un visage humain très stylisé ou de conventiond e représentation des visages, dans certains cas, c’est sans équivoque :

Sorcier trois frere Breuil

Sorcier Trois Frères photo état actuel

Le Sorcier de la grotte des Trois Frères est une figure gravée avec des parties relevées de peinture qui mélange des parties anatomiques humaines et animales :

  • Les jambes sont humaines
  • Queue de cheval
  • Sexe très en arrière, qu’on a dit être celui d’un félin
  • Fesses, dos, bras humains
  • Mains palmées
  • Visage de face, présentant une face de chouette avec de grands yeux et un petit bec
  • Longue barbe gravée, qui évoque presque les fanons d’un cervidé ou d’un bovidé
  • Bois de cervidés.

S’agit-il d’un sorcier, un chamane, un dieu ?

La grotte des Trois-Frères ne se visite pas. La figure est décrite comme située sur une paroi du Sanctuaire, isolée des autres figures mais dans un endroit où aboutissent les salles et couloirs avec les autres gravures. La grotte communique avec l’abris d’Enlène la grotte du Tuc d'Audoubert. 

Le Sorcier est la figure la plus célèbre de la grotte et aujourd'hui, elle semble avoir vraiment souffert du passage du temps, ses couleurs se sont fanées. Mais il est normal que les mains ou le visage n'apparaissent pas car ces parties ont été gravées et se voient sous un éclairage rasant. 

Une figure gravée venant de la grotte de Lourdes trouvée en 1920 et conservée à St-Germain-en-Laye montre un personnage comparable ;

  • profil humain
  • queue animale
  • longue barbe
  • traits évoquant une ramure de cervidé au-dessus de la tête.

sorcier Espelugues Lourde

Le Sorcier Dansant n'est pas la seule gravure aux Trois-Frères : Un grand panneau est rempli de figures de bisons, chevaux, bouquetins, cervidés. 

Gravures Sanctuaire Trois Freres

Et au milieu, une silhouette plus petite : un Sorcier homme-bison

Gravures Sanctuaire Trois Freres ou est charlie

Trois Freres breuil sorcier arc & rennes composites


Celui-ci a :

  • Le visage d’un bison, avec un museau, des cornes, une barbe qui lui descend sur le cou et la poitrine
  • Une tête ronde positionnée de façon bien humaine, au-dessus du corps
  • La ligne du dos bossue du bison
  • Les bras se terminant par des sabots
  • Les jambes se terminant en pied.
  • Une longue queue
  • Lui aussi a le sexe bien en évidence, en érection
  • Il semble tenir un arc dans une main, posé sur son autre bras. ...mais on ne chasse pas à l'arc au paléolithique : est-ce un arc musical ? Ou un objet oblong qui ne serait pas du tout un arc, une flute peut-être ? (illu : deux flutes trouvées à Hohle Fels et à Geißenklösterle ds le Jura)

Est-il seulement debout ? Parce que si on tourne le relevé, cela devient un homme à 4 pattes.

Il existe encore un troisième Sorcier dans la grotte des Trois-Frères : Cette fois, l'avant-train est totalement celui d'un bison. Le sexe est aussi bien visible, mais pointu tel celui d'un bovidé. Et les jambes arrières se terminent en sabot mais se plient comme une jambe humaine.

Sorcier 3 Trois Frères

Trois figures de sorciers dans la grotte des Trois Frères ; est-ce eux, les trois frères ? Pas du tout : il s’agit des trois fils du comte Begouën qui ont découvert cette grotte en cherchant un passage entre l’abris d’Enlène et la grotte du Tuc d’Audoubert qui étaient adolescent à l’époque où ils découvrent la grotte.

 

Un autre Homme-bison est représenté dans la grotte la grotte d'El Castillo, en Cantabrie (Espagne).
Sur un gros pilier stalagmitique est figuré la silhouette de bison redressée sur les pattes arrières. L’avant-train est bien détaillé, l’arrière-train plus suggéré ; la draperie stalagmitique présente une forme particulière qui évoque la forme de la jambe / patte arrière.

El Castillo bison man

El Castillo Bison man releve breuil
R
elevé de Henri Breuil

Le pilier lui-même a été très légèrement sculpté : le haut a légèrement été rogné pour former une légère courbe et...

El Castillo bison man pilier et ombre

Quand on l’éclaire par devant à la lampe, l’ombre de ce pilier se projette sur la paroi derrière. Et cette ombre évoque une tête de bison plantée sur un corps droit, avec un renflement très suggestif au niveau du ventre 

 

Autre support, autre animal, même construction fantastique : Le Bâton Percé aux diablotins de l'abri Mège à Teyjat. Un bâton percé est un objet en bois de cervidé percé d’un trou dont la fonction est assez énigmatique. Certains exemplaires sont abondamment décorés, trop pour imaginer qu’il s’agisse toujours d’objet strictement usuels (d’autant qu’on ne sait pas trop quel usage pouvait en être fait). On les appelait auparavant “bâton de commandement” en y voyant des sortes de sceptres, le terme bâton percé est simplement descriptif, donc plus neutre. 

Ce bâton percé est décoré de différentes figures animales bien reconnaissables : une tête de biche, un cheval, des serpents... et d'autres plus petites très intrigantes :

Diablotins mege Teyjat 1

Baton-perfore-de-Teyjat-Reunion-des-figures-4-5-et-11-de-Breuil-Capitan-Breuil-et-al

Dans le relevé déroulé ; sous le trou et derrière le cheval, trois petites figures associent différents éléments anatomiques :

  • la tête d’un chamois, avec ses cornes en virgules bien reconnaissable,
  • un torse couvert de petits traits évoquant la fourrure et dépourvu de bras
  • des jambes se terminant par de pieds humains

Nous avons donc des humains à tête d’oiseau, de bison ou de chamois... Voici maintenant le lion avec la statuette en ivoire de Hohlenstein-Stadel, trouvée en 1939 et complétée en 2013 par de nouveau fragments trouvés en fouille :

Hohlenstein-Stadel

La sculpture est assez grande, la forme courbe vient de ce qu'elle a été taillée dans une défense de mammouth. L'ivoire s'est délité et la surface du torse manque. L'entrejambe est marquée d'un V avec des petites gravures qui figurent peut-être les poils du pubis, mais sans présenter l'entaille typique des vulves préhistoriques. On s'accorde à la définir comme la statue d'un homme en raison de sa forme toute en longueur et sans hanches prononcées mais il manque un signe sexuel absolument sans équivoque pour trancher définitivement la question.

Cette statue serait comparable à d'autres retrouvées en Allemagne mais beaucoup plus simples et dont il existe beaucoup moins de photos publiées en ligne : Hohle Fels et Vogelherd 

hohlefelslionman2sm

Je suis d'accord, celle-ci est moins évidente.

Avec tous les exemples donnés, on pourrait croire que les êtres fantastiques humains à tête d’animaux sont hyper nombreux ! En fait on en connait actuellement 20. La majorité d’entre eux sont clairement masculins, une partie ne présente aucuns traits sexuels, 2 seulement seraient féminin.

(...3 depuis la découverte d'un galet gravé à Etiole avec un cheval et une femme-animal - le relevé présente donc les trois thérianthropes femelles connus, venant de La Madeleine, Tolentino et Etiolle)

Il y a d’autres créatures fantastiques que les humains à tête animale :

Trois Freres breuil sorcier arc & rennes composites

Retour à la grotte des Trois-Frères : devant le sorcier à l'arc musical se trouvent deux animaux. A première vue, tout est normal : il y a un renne aux bois bien reconnaissables et un bison aux cornes courtes et recourbées. Mais en regardant plus attentivement, on constate que quelque chose cloche : le renne a les pattes avant palmées. Le bison a un corps disproportionné aux longues pattes, au dos curieusement ensellé... c'est aussi le corps d’un renne. 

Toujours dans la grotte des Trois-frères, une figure associe la tête d'un canidé et le corps trapu aux grosses pattes pleines de poils et de griffes de l'ours tandis qu'un ours en-dessous présente une longue queue de bison, terminée par un plumet de poil

trois frères breuils ours composites

Le Gabillou présente une figure de cheval avec les pattes arrières aux sabots bisulques, c’est-à-dire à deux ongles. Et on rencontre la même figure au Pergouset où un tout petit cheval présente le sabot d’une patte antérieure pourvu de deux ongles et même le petit toupet de poil arrière.

Chevaux bisulque Gabillou Pergousset

...Peut-être que le type avait jamais vu de pattes de cheval de près, ça arrive de faire des erreurs ! Vous avez déjà vu la tronche des éléphants dessinés dans les enluminures médiévales ?

Oui mais justement : les peintres médiévaux n’avaient jamais vu d’éléphant de leur vie ! Tandis que les peintres de la préhistoire qui dessinent un cheval avec un sabot bisulque ou un renne avec une tête de bison représentent l’anatomie d’espèces qu’ils connaissent car il les chassent. Et ils les connaissent assez pour représenter avec fidélité des éléments anatomiques de ces différentes espèces mélangées : le pelage, les plis du cou, la touffe de poil derrière le sabot, mais pour le sabot, trou de mémoire soudain : ça a combien de doigts encore le cheval ?

Combarelle cheval bison

Certains chevaux aux sabots bisulques ont aussi des cornes de bovidés (Combarelles) donc on pense généralement que ces créatures fantastiques mélangent des caractères anatomiques de cheval et de bovidés (qui sont, ça tombe bien, deux des espèces les plus souvent représentées dans les grottes et pour lesquelles André Leroi-Gourhan avait émis une théorie (voir conclusion) ce qui pourrait expliquer que le sabot de tous les chevaux bisulques ait été lu comme celui de bovidés (alors que les rennes aussi ont deux doigts aux pattes avant). Il y a beaucoup d'exemples de chevaux aux sabots fendus et à cornes de bovidés en plus de celui des Combarelles. Je sais qu’il en existe un dans la grotte de la Passiega (en Cantabrie, à coté d’El Castillo), mais malheureusement, j'ai jeté mes notes de cours l’année de rédaction du fil twitter qui a donné naissance à cette article donc j’ai plus aucun croquis ni aucune référence.

Pour terminer cette galerie d’animaux composites, revenons à un immanquable : la Licorne de Lascaux avec laquelle commence la longue procession des aurochs et des chevaux de la grotte. Là aussi, on s’est beaucoup trituré les méninges pour interpréter cette figure :

Licorne Lascaux

Un seul animal ?

  • Une antilope du Tibet, qui présente de longues cornes quasi droite, un museau très court et des pattes noires... Mais pas d’ocelles comme la Licorne.
  • Un Lynx ? La licorne en a la silhouette trapue, la queue petite, la tête carrée et les longues oreilles terminées par un plumet... Ok, la corne est inédite chez le Lynx, mais après tout, c’est une créature nocturne, difficile à observer... Peut-être que le peintre n’en avait jamais vu ? Les rhinocéros et les lions non plus ne devaient pas être facile à observer de près et pourtant leurs représentations sont beaucoup plus précises !
  • Un sorcier vêtu d’une peau de bête ? Mais cette figure ne présente aucun caractères humain, cette hypothèse permet juste d’expliquer pourquoi cette bête ne ressemble à aucune bête réelle).

Ou alors il s’agit d’une créature fantastique, un composite de partie empruntées à différents animaux :

  • Tête carrée de carnivore (félin)
  • Garrot de bovidé ou d’ours, avec une bosse au niveau de l’épaule
  • Corps trapu comme celui d’un rhinocéros
  • Pelage à ocelles de félin
  • ...Peut-être aussi un mélange de sexe : le ventre rebondi d’une femme (enceinte ?) et le sexe d’un cerf (les cerfs males de Lascaux présentent le même élément graphique : une ligne noire forme le contour du ventre et forme une sorte de bourgeon noir au niveau du bas-ventre – les figures de femmes ont souvent le ventre très rebondi, on a une gravure qui associe la femme probablement enceinte et le cerf à Laugerie-basse)

    Lascaux cerfs Laugerie basse renne femme

Cela reste discuté.

 

 

CONCLUSION - ET TOUT CA, CA VEUT DIRE QUOI ?

Il existe donc un certain nombre de figures qui ne sont pas de strictes copies de la réalité visible. Elles présente même une sorte de schéma : un corps d’homme et une tête d’animal ou animalisée / le corps d’une espèce animale et la tête ou les pattes d’une autre. 

Que représentent ces figures ? ...On ne sait pas et on ne saura jamais. Merci. Bonsoir. N’oubliez pas de fermer la porte en sortant.

Non je déconne. En vrai, il y a plus à en dire. Même si, effectivement, on ne sait pas.

Quand on a admis l’existence d’un Homme des Cavernes, on ne pouvait tout d’abord pas envisager que ce pauvre malheureux tout occupé à survivre dans un environnement hostile et à disputer sa pitance aux mammouths des cavernes et aux ours laineux pour être un artiste. Trop abruti de faim, de froid, de fatigue, trop abruti tout court, pour faire de jolies choses...

Et puis la réalité frappe un grand coup et oui, Homo sapiens a bien trouvé un peu de temps pour décorer des trucs.

Donc admettons, Homo sapiens pouvait être un artiste, il a fait de beau objets bien pratiques et puis parfois il les a décoré de jolies gravures : c’est qu’il a du temps libre et qu’il s’occupe comme il peut, entre deux chasses et une sieste vu qu’il a pas d’ordinateur ni de compte Steam ! Il ne faut voir là que des doodles pour passer le temps, pour faire de jolies choses plaisantes à l’oeil (cf les représentations d’artistes de la préhistoires de l’article précédent) mais rien d’autre !

...Au 19eme siècle, les précurseurs de la Préhistoires français sont violement anticléricaux. L’époque est un peu tendax d’ailleurs, la nationalisation des biens de l’Eglise, avec des expulsions de couvent, la loi sur la Laïcité. Donc pour ces Préhistoriens bouffeurs de curés, admettre que les hommes préhistoriques aient pu avoir des inquiétudes métaphasiques et des considérations spirituelles, c’est un gros big NEIN. Donc l'Art Préhistorique est décoratif. Il ne peut être que décoratif, certainement pas religieux ou métaphysique.

Et l’art pariétal alors ? Ca n'existe pas, tout simplement ! Il va falloir attendre le début du 20ième siècle pour que les préhistoriens français sceptiques fassent leur mea-culpa et reconnaissent que l'art pariétal, au fond de grottes, existe bel et bien. Mais pourquoi alors Homo sapiens serait-il parti s’enfoncer au fond de boyaux malcommodes en dérapant dans la glaise pour aller peindre des trucs que personne d’autre ne verra ? Pas pour faire joli et enjoliver son quotidien, c’est sûr ! Pourquoi a-t-il peint des animaux dans des grottes ? Et bien c’est du TOTÉMISME, voilà tout : les hommes préhistoriques, aux conceptions spirituelles primitives (forcément : c'est des préhistoriques, ils sont primitifs, c’est simple) vénèrent un animal-emblème et le représentent pour lui rendre hommage.

...Ils en représentent cependant beaucoup au même endroit ! Et pourquoi dans des grottes ? Nouvelle théorie : c’est de la MAGIE ! l’Homme part dans une grotte pour représenter les animaux qu’il veut chasser, ceux qu’il veut détruire, les femmes qu’il veut ...kof-kof et accompli sur ces figures des rites magiques qui vont lui assurer abondance, sécurité et chance en amour ! Ce qui explique les figures animales qui semblent percées de traits : 

Bison fléché Niaux Ours fléché Trois Frères

Bison de la grotte de Niaux & ours blessé vomissant du sang de la grotte des Trois Frères

Quant aux figures d’homme-animaux, ce sont des SORCIERS (le nom est resté), ces grands manitou spirituels qui guidaient les populations primitives en leur disant quoi faire pour contenter les dieux et obtenir abondance de bien.

 Prolix

Petit soucis : les espèces "fléchées" ne sont en réalité pas forcément les espèces effectivement chassées à l’endroit et à l’époque où ils sont représenté. Et puis, il n’y a pas beaucoup d’espèces fléchées. Et puis cette idée du Sorcier, elle est fort imprégné des préjugés du début du 20eme siècle sur les sociétés primitives et ne repose pas sur de véritables rapprochement ethnologiques.

APPROCHE STRUCTURALISTE : le Structuralisme est une école de pensée en anthropologie et sciences humaines et sociales qui pose qu’une société = des relations entre individus fondées sur une série de structures fondamentales. L’idée est d’analyser ces relations pour dégager ces structures fondamentales (je simplifie beaucoup). André Leroi-Gourhan et Annette Laming-Emperaire vont analyser l'ensemble des figures des grottes ornées pour tenter de repérer de grandes constantes.
Et il y en a : tous les animaux ne sont pas représentés dans les mêmes proportions. Le top 3 est constitué par le Cheval, Bison et Auroch ou Mammouth. Ces trois espèces vont constituer les figures principales, en évidence. Les autres espèces (bouquetins, cervidés) seront des figures secondaires. Les Fauves (ours, rhino, lion) sont représentés dans les parties les plus inaccessibles.

Pourquoi ? Ce n’est pas ce qui intéresse en premier Leroi-Gourhan et Laming-Emperaire, mais ils proposent tout de même une analyse basée sur la disposition des figures de cheval / bison dans certaines zones et l’association avec des signes long ou rond (et proposent une analogie de ces figures avec les principes masculin et féminin)

Finalement, cette grille de lecture sera reniée car on constate que ça fonctionne pas, les associations ne sont pas systématiques et de toute façon on parle d’une période beaucoup trop longue pour pouvoir proposer une et une seule grille de lecture qui fonctionnera pendant les 20 000 ans qu’elle dure.

En a-t-on fini avec les tentatives d’explication ? Non !

Il y a quelques années (...ok, 25 ans maintenant), Jean Clottes a proposé une nouvelle interprétation globale qui a été reçue avec enthousiasme par le public, un peu plus fraichement par le milieu académique : c’est du CHAMANISME ! Oui, on revient un peu à l’argument Magie de la Chasse / Totémisme, mais cette fois avec plus d’arguments : le chamane est un intermédiaire entre le monde des hommes et le monde des esprits (de la nature) qui part négocier avec les esprits en se plongeant dans une transe (un état altéré de conscience) pendant des rituels, grâce à l’absorption de drogues ou à des champs et battement de tambour hypnotiques. 

Pour Jean Clottes, il y a des comparaisons possibles entre les peintures paléolithiques et celles de peuples de chasseur & chamanes (Sami de Laponie, San du Kalahari). Les signes abstraits seraient la représentation d’hallucinations visuelles perçues pendant la transe. (si vous avez jamais tenté de communiquer avec l’esprit du bison ou celui de la cafetière (on s’adapte à la modernité que voulez-vous) mais que vous souffrez de migraine : vous voyez, ce cercle scintillant qui se forme dans votre champ de vision et se referme doucement ? C’est un exemple d’hallucination visuelle qui aurait été représenté). Tous les animaux représentés, composites ou non, seraient des esprits, certains paraissent réalistes simplement parce qu’ils ne combinent pas de parties de différentes espèces. Quant aux mélanges humains et animaux, il s’agit de la représentation du chamane en train de communiquer avec le monde spirituel. 

Compte rendu Les Chamanes de la Préhistoire - Jean Clottes & D Lewis-Williams

CARAMBA, SUPER ON A TROUVÉ !!! Non ?

...Ben en fait :

  • C’est chaud de proposer UNE SEULE EXPLICATION.
  • ...en se basant sur des comparaisons entre les hommes de la préhistoire et des peuples actuels qui, non, ne sont pas des fossiles vivants directement issus des âges farouches sans aucune influence extérieure
  • ...en imaginant que les chamanes préhistoriques soient partis loin sous terre pour chamaner en paix et aient peint en état de transe leurs visions, sans se casser la gueule.

Donc c’est tentant, mais c’est pas concluant. Et même si c’est plausible, on ne peut pas dire que oui, c’est sûr, c’est l’explication !
La théorie la plus pétée mais qui me fait personnellement beaucoup rire est : c’est pour marquer leur territoire face aux Neandertal qui ne peignaient pas ! Un peu comme ton chat qui pisse sur tes pantoufles ou les présidents du Mont Rushmore taillés dans une colline sacrée sioux. Indémontrable, bien sûr. 

Bref, on sait pas pourquoi les paléolithiques faisaient de l’art, s’ils trouvaient cela beau, utile, symboliques, s’ils revenaient voir leurs œuvres fréquemment (bien que l’étude récente de certaines grottes où le sol paléolithique a été conservé indique que oui, des fois, les gens y revenaient). Mais les choix des sujets représentés, les conventions de représentations indiquent que oui, derrière ces œuvres, il y a un fond culturel qui nous reste inaccessible. 

 

Pour aller plus loin :

Interprétation de l'art préhistorique - J. Clottes 

Le statut de l'animal dans l'art pariétal du paléolithique supérieur - M. Groenen

Figures composites - S. Tymula

La licorne de Lascaux - D Tauxe & M. Patou-Mathis

Chamanes et préhistoire -  Sophie A. de Beaune

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