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Scribouillages et pensées frénétiques
28 septembre 2007

Du quotidien peu quotidien

Ma grand mère est morte.

C'est un évènement en soi banal que la mort d'une vieille femme, et tout individu se retrouve un jour ou l'autre confronté à un doublon de cet évènement tragique que constitue la perte d'une grand-mère. Auquel il faut également ajouté le doublon de mort de grand-père.

Lorsqu'on perd le premier de ce tétralogue, on se retrouve brutalement au prise avec la réalité d'un décès. Au niveau conceptuel d'abord. Au niveau pratique ensuite. Car c'est une chose que de savoir comment se déroule un enterrement et toutes les démarches administratives qui le précède, toutes choses désincarnées, idéalisées, théorisées. C'en est une autre que de recevoir des certificats de décès tapés manifestement sur une machine à écrire (en ces temps d'informatisation cela arrive encore, si si) ou de se bousculer en titubant à la sortie d'une messe où l'on a longuement hésité entre le fou-rire nerveux et le hurlement de désespoir atroce. Parce qu'il y a des curés qui ont un sens inné de la phrase qui console et qui soulage même le plus mécréant de tous. Et puis il y a les autres. Le curé de ma paroisse fait partie de la seconde catégorie.

Lors du premier décès, on pense avoir appris des choses. On se croit aguerri, on regrette amèrement certaines choses, des petits faiblesses, des lâchetés, une main que l'on n'a pas assez serrée, un regard qu'on n'a pas osé soutenir, des sourires qui se sont fait rare, tout horrifié qu'on était par le déclin de l'être qui avait été une référence de notre enfance et qui plonge soudain dans l'enfance sénile des très vieux qui sont en train de mourir. On se jure que, la prochaine fois, on sera aimant, présent, attentif, rassurant. On oublie que la mort est, comme la vie, unique et chaque fois différente et même les signes les plus évidents, lorsqu'ils se manifestent dans notre entourage, nous aveuglent de leur effroyable signification. Et nous oublions combien il est facile de passer à coté de l'essentiel, obnubilés que nous sommes par des menus détails.

La litanie des regrets revient à chaque fois. Le chapelet des "j'aurais du..." "comme je regrette" et autre "Si seulement j'avais..." que l'on se récite, les yeux baignés de larmes, la bouche crispée et les mains serrées sur le drap de son lit. Et puis l'on ne sait plus trop sur qui l'on pleure. Sur la personne décédée que nous ne chérissions pas autant que nous l'aurions dû ou sur la noirceur, faite de lâchetés minuscules et de petitesses que l'on est bien forcé de se découvrir au cœur. Pas fort glorieux. Mais comment se montrer admirable ? Comment ne pas avoir de regrets ? Comment agir pour n'avoir aucun regret, uniquement la satisfaction d'avoir fait pour le mieux et d'avoir réussi ? Impossible. Et je n'écris pas cela uniquement pour me dédouaner.

***

Plus endurcis par les expériences précédentes, nous sommes choqués par d'autres choses. Si le visage impassible de mon arrière-grand-mère, exposé dans son cercueil m'avait troublée, à 11 ans, par son inquiétante étrangeté, ce fut le contact de la peau cireuse et glacée du bras de ma grand-mère, étendue sur un plateau d'acier de la morgue, et que j'avais spontanément touchée qui m'a tétanisé. Et c'est à ce moment que je me suis mise à pleurer sans retenue, en regardant mes larmes s'écraser au sol, entre mes pieds tandis que je m'agrippais les cheveux dans une attitude universelle de pleureuse antique. J'ai été la voir plusieurs fois, pour m'habituer à l'idée de son nouvel état de morte, je n'ai jamais cessé de ne pas m'habituer à son visage serein et volontaire, son bras glacé, son teint jaune et comme translucide.

 

J'ai cru que je me serais habituée au curé de la paroisse totalement confis dans sa pastorale digne des années 30 entièrement axée sur la repentance et la dévotion corps et âme au Seigneurs et aux autres (et ce parce que le Seigneur pourrait se cacher parmi l'un des Autres histoire de surveiller si vous méritez bien votre Paradis, faut pas croire) ce pour mériter son Paradis, à condition d'y croire et d'avoir été baptisé dans les rites, ce même curé qui vous regarde de travers lorsque vous ne vous levez pas ou ne vous agenouillez pas au bon moment - à moins que ce fut son aide de camps ( pardon "enfant de cœur") quadragénaire (Ah, j'ai du mal, les enfants quadragénaires, ça me laisse perplexe) qui le fit pour lui ? J'ai cru pouvoir mieux encaisser tout cela, mais même avec une précédente expérience et l'appui du chéri venu me tenir la main, c'est mal passé.

 

Je suis heureuse d'avoir éviter le pathétique cortège jusqu'au Cimetière d'Ixelles, bloqué 5 bonnes minutes derrière un trou du cul garé en double file pour aller retirer tranquillement de l'argent au Postomat. Heureuse d'avoir évité le spectacle hallunicant de cette fosse de 5 mètre de long à demi recouvertes de planches et où le cercueil de mon grand-père est allé rejoindre l'alignement de ceux mort avant lui à Ixelles et enterrés dans le cartier des concessions de 5 ans - après un petit balancement des courroies pour le positionner au plus près. Ce petit détail trivial dans un contexte si douloureusement intime, si intimement douloureux, donne aux choses un coté pathétique et minable... Oui, je suis contente que ma grand mère n'ai pas été enterrée. Et je suis contente qu'elle ne repose nulle part. Tout, cercueils, couronnes, compositions florales, tout donc a été incinéré puis les cendres ont été dispersées. La pluie avait cessé de tombé et le vent a dispersé les plus volatiles des cendres. Et j'ai trouve cela beau et appaisant, tout comme le furent les paroles prononcée par ma cousine, sa nièce et qui ont rappelé la femme qu'elle avait été avant d'être une très vieille dame déprimée qui se mourrait.

 

J'ai pourtant tant de regrets. Ma grand mère est morte tranquillement à défaut d'être morte en paix. Elle est morte dans son sommeil, très probablement sans s'en rendre compte, mais nous ne nous sommes jamais dit "adieu" ni combien nous nous aimions. Et cela, je ne suis pas sure de l'avoir jamais réellement compris avant que de l'avoir perdue.

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Commentaires
B
Je n'ai pas d'excuse car je me contente de passer que de temps en temps sur ton site pour te lire. Aujourd'hui c'est chose faite, et je suis sincèrement désolé d'apprendre cette nouvelle. Toutes mes condoléances. <br /> Bon courage @ toi.
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E
tout d'abord, toute ma sympathie devant ta tristesse et les questions que tu te poses.<br /> Je suis sur la lecture de "mon histoire des femmes" de Michèle Perrot, et ce week end je n'ai cessé de penser à ma grand mère. Elle est morte j'étais jeune fille. Je suis complètement passée à côté d'elle et en lisant ce livre d'histoire des femmes, et de comment les femmes ont tissé une histoire, etc. j'ai vécu un deuil bien + grand qu'à sa mort car nous n'étions pas proches sentimentalement. Aujourd'hui j'aimerais revenir en arrière et lui dire combien je la comprends en tant que femme et grand mère !<br /> Elle était un puits d'anecdotes mais ne parlait pas, ayant vécu les 2 guerres mondiales sur le sol français, village brûlé, exode, vie de femme et nombreux enfants... et comme bien des femmes elle a pensé que tout cela n'était pas assez précieux pour passer vers mon oreille, pour être recueilli, écrit, transmis ... En + elle n'était pas causante... <br /> <br /> Je comprends d'autant mieux ton texte car justement on voudrait pouvoir dire quelque chose, verbaliser nos sentiments ou expériences, ... mais ce temps ne sera plus. Reste l'expérience de ce manque, l'expérience qui nous apprend à faire. Bien sûr la prochaine fois nous passerons à côté d'autre chose, et la leçon de l'expérience ne sera tout de même pas perdue même si on a ce sentiment d'imperfection, de loupé de quelque chose. En tous cas tu as eu la chance de la connaître assez longtemps ! Bien entendu elle même ne se pose plus de question, mais sa vie était certainement faite des mêmes interrogations que tu as, des mêmes frustrations, car il se produit avec ses enfants exactement la même chose : on ne reproduit pas les mêmes erreurs mais ... on passe toujours à côté de quelque chose, on ne peut pas tout savoir, tout connaître de l'intérieur des gens, deviner ... car on voit à partir de notre propre lucarne ou grande fenêtre ... c'est ainsi ! et le comprendre est déjà une leçon en soi...
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