Du quotidien peu quotidien
Ma grand mère est morte.
C'est un évènement en soi banal que la mort d'une vieille femme, et tout individu se retrouve un jour ou l'autre confronté à un doublon de cet évènement tragique que constitue la perte d'une grand-mère. Auquel il faut également ajouté le doublon de mort de grand-père.
Lorsqu'on perd le premier de ce tétralogue, on se retrouve brutalement au prise avec la réalité d'un décès. Au niveau conceptuel d'abord. Au niveau pratique ensuite. Car c'est une chose que de savoir comment se déroule un enterrement et toutes les démarches administratives qui le précède, toutes choses désincarnées, idéalisées, théorisées. C'en est une autre que de recevoir des certificats de décès tapés manifestement sur une machine à écrire (en ces temps d'informatisation cela arrive encore, si si) ou de se bousculer en titubant à la sortie d'une messe où l'on a longuement hésité entre le fou-rire nerveux et le hurlement de désespoir atroce. Parce qu'il y a des curés qui ont un sens inné de la phrase qui console et qui soulage même le plus mécréant de tous. Et puis il y a les autres. Le curé de ma paroisse fait partie de la seconde catégorie.
Lors du premier décès, on pense avoir appris des choses. On se croit aguerri, on regrette amèrement certaines choses, des petits faiblesses, des lâchetés, une main que l'on n'a pas assez serrée, un regard qu'on n'a pas osé soutenir, des sourires qui se sont fait rare, tout horrifié qu'on était par le déclin de l'être qui avait été une référence de notre enfance et qui plonge soudain dans l'enfance sénile des très vieux qui sont en train de mourir. On se jure que, la prochaine fois, on sera aimant, présent, attentif, rassurant. On oublie que la mort est, comme la vie, unique et chaque fois différente et même les signes les plus évidents, lorsqu'ils se manifestent dans notre entourage, nous aveuglent de leur effroyable signification. Et nous oublions combien il est facile de passer à coté de l'essentiel, obnubilés que nous sommes par des menus détails.
La litanie des regrets revient à chaque fois. Le chapelet des "j'aurais du..." "comme je regrette" et autre "Si seulement j'avais..." que l'on se récite, les yeux baignés de larmes, la bouche crispée et les mains serrées sur le drap de son lit. Et puis l'on ne sait plus trop sur qui l'on pleure. Sur la personne décédée que nous ne chérissions pas autant que nous l'aurions dû ou sur la noirceur, faite de lâchetés minuscules et de petitesses que l'on est bien forcé de se découvrir au cœur. Pas fort glorieux. Mais comment se montrer admirable ? Comment ne pas avoir de regrets ? Comment agir pour n'avoir aucun regret, uniquement la satisfaction d'avoir fait pour le mieux et d'avoir réussi ? Impossible. Et je n'écris pas cela uniquement pour me dédouaner.
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Plus endurcis par les expériences précédentes, nous sommes choqués par d'autres choses. Si le visage impassible de mon arrière-grand-mère, exposé dans son cercueil m'avait troublée, à 11 ans, par son inquiétante étrangeté, ce fut le contact de la peau cireuse et glacée du bras de ma grand-mère, étendue sur un plateau d'acier de la morgue, et que j'avais spontanément touchée qui m'a tétanisé. Et c'est à ce moment que je me suis mise à pleurer sans retenue, en regardant mes larmes s'écraser au sol, entre mes pieds tandis que je m'agrippais les cheveux dans une attitude universelle de pleureuse antique. J'ai été la voir plusieurs fois, pour m'habituer à l'idée de son nouvel état de morte, je n'ai jamais cessé de ne pas m'habituer à son visage serein et volontaire, son bras glacé, son teint jaune et comme translucide.
J'ai cru que je me serais habituée au curé de la paroisse totalement confis dans sa pastorale digne des années 30 entièrement axée sur la repentance et la dévotion corps et âme au Seigneurs et aux autres (et ce parce que le Seigneur pourrait se cacher parmi l'un des Autres histoire de surveiller si vous méritez bien votre Paradis, faut pas croire) ce pour mériter son Paradis, à condition d'y croire et d'avoir été baptisé dans les rites, ce même curé qui vous regarde de travers lorsque vous ne vous levez pas ou ne vous agenouillez pas au bon moment - à moins que ce fut son aide de camps ( pardon "enfant de cœur") quadragénaire (Ah, j'ai du mal, les enfants quadragénaires, ça me laisse perplexe) qui le fit pour lui ? J'ai cru pouvoir mieux encaisser tout cela, mais même avec une précédente expérience et l'appui du chéri venu me tenir la main, c'est mal passé.
Je suis heureuse d'avoir éviter le pathétique cortège jusqu'au Cimetière d'Ixelles, bloqué 5 bonnes minutes derrière un trou du cul garé en double file pour aller retirer tranquillement de l'argent au Postomat. Heureuse d'avoir évité le spectacle hallunicant de cette fosse de 5 mètre de long à demi recouvertes de planches et où le cercueil de mon grand-père est allé rejoindre l'alignement de ceux mort avant lui à Ixelles et enterrés dans le cartier des concessions de 5 ans - après un petit balancement des courroies pour le positionner au plus près. Ce petit détail trivial dans un contexte si douloureusement intime, si intimement douloureux, donne aux choses un coté pathétique et minable... Oui, je suis contente que ma grand mère n'ai pas été enterrée. Et je suis contente qu'elle ne repose nulle part. Tout, cercueils, couronnes, compositions florales, tout donc a été incinéré puis les cendres ont été dispersées. La pluie avait cessé de tombé et le vent a dispersé les plus volatiles des cendres. Et j'ai trouve cela beau et appaisant, tout comme le furent les paroles prononcée par ma cousine, sa nièce et qui ont rappelé la femme qu'elle avait été avant d'être une très vieille dame déprimée qui se mourrait.
J'ai pourtant tant de regrets. Ma grand mère est morte tranquillement à défaut d'être morte en paix. Elle est morte dans son sommeil, très probablement sans s'en rendre compte, mais nous ne nous sommes jamais dit "adieu" ni combien nous nous aimions. Et cela, je ne suis pas sure de l'avoir jamais réellement compris avant que de l'avoir perdue.